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Macron vante le « chien de garde de la petite bourgeoisie

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« Bon sens » : ooops, »

 

Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, le 27 août 2014 à Paris (Christophe Ena/AP/SIPA)

« Il n’est pas interdit d’être de gauche et de bon sens », affirme Emmanuel Macron dans Ouest-France, qui a repris la phrase en titre de l’interview. Celui qui ne veut pas qu’on « l’enferme » dans le qualificatif de « libéral » (sans le rejeter pour autant) donne cette définition de la gauche :

« Etre de gauche, pour moi, c’est en effet être efficace, recréer les conditions pour investir, produire et innover. Etre de gauche, c’est être juste pour que les efforts comme les gains soient équitablement répartis. »

Le bon sens, donc…

Si, pour sa première interview en tant que ministre de l’Economie, l’ancien conseiller de François Hollande voulait fournir des preuves de son attachement idéologique à la gauche, c’est raté. La valeur qu’il met en avant, le « bon sens », fait partie de l’arsenal classique de la droite : dès les années 50 les intellectuels de gauche l’ont fustigée et les leaders de gauche évitent depuis de s’en prévaloir. Il y a certes des exceptions dans les franges droitières du PS : Michel Sapin, par exemple, ne déteste pas l’expression.

« Les projections naïves du sens commun »

C’est Roland Barthes qui a porté l’estocade à l’expression, dans une formule restée célèbre, reprise par la suite à l’envi par les marxistes : le bon sens, c’est le « chien de garde des équations petites-bourgeoises ». Aussi jeune soit-il, Macron ne peut pas l’ignorer. Ancien élève d’Etienne Balibar et assistant de Paul Ricœur, il connait les écrits de Roland Barthes qu’il ne confond pas, à la différence de Nicolas Sarkozy, avec Yann Barthès.

Une affiche du FN

Dans les années 50, le « bon sens », celui des « petites gens », du « Français moyen », était dans toutes les bouches, d’Henri Queuille à Pierre Poujade. Ce dernier en avait même fait, bien avant le Crédit agricole ou les candidats du FN (voir affiche ci-contre), un slogan promotionnel.

C’est ce qui avait fait réagir Barthes, selon lequel le « bon sens », avec ses relents terriens, porte l’aspiration conservatrice à la finitude du monde, à l’immuabilité des choses. Mais ce concept est vicieux car il empêche « d’imaginer l’autre ». Il ferme le débat, il enferme l’interlocuteur, il bloque le rêve :

« Il bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, où l’on est chez soi, à l’abri des troubles et des fuites du “rêve” (entendez d’une vision non comptable des choses). Les conduites humaines étant et ne devant être que pur talion, le bon sens est cette réaction sélective de l’esprit, qui réduit le monde idéal à des mécanismes directs de riposte. » ( « Quelques paroles de M. Poujade » in Mythologies, 1957)

Loin d’être, quoi qu’en dise Descartes, « la chose la mieux partagée », le « bon sens » serait donc une arme idéologique qu’il faut analyser et contrer. Pierre Bourdieu lui-même se donnait comme priorité de « rompre avec le sens commun » et invitait les sociologues à forger de nouveaux mots pour se protéger des « projections naïves » de ce dernier.

Depuis, les tentatives intellectuelles de réhabilitation du bon sens sont rares. L’historien Marc Crapez, défenseur du libéralisme, s’y est essayé dans un récent essai (« Défense du bon sens ou la controverse du sens commun », éd. du Rocher, 2004), mais sans parvenir à réveiller, dans le débat public, « le sourire du bon sens » vanté par Raymond Aron.

Pascal Riché     Cofondateur Rue89     Publié le 02/09/2014 à 08h50

 


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